Dr Julien Nizard
Centre de Traitement de
la Douleur CHU Nantes
(Document diffusé par
lA.M.D.C.F. 44 avec lautorisation de lauteur)
Historique
Décrite depuis 1901 (Gowers :
Rhumatisme musculaire) :
- Fibrosite (Wolfe et Calthey,1983) ; Polyenthésopathie
- Syndrome Polyalgique Idiopathique Diffus ou
SPID (Benoist et Kahn, 1986)
- Fibromyalgie (Hench, 1989)
Cadre des Syndromes somatiques fonctionnels (Wessely, Lancet ,
1999)
CIM 10 : Troubles somatoformes, syndromes douloureux
persistants
Définition actuelle clinique
(aucun marqueur biologique individualisé)
1 - Histoire de Douleurs diffuses > 3 mois
2 - Onze points douloureux sur dix huit, fixes chez un sujet donne (Déf. : ACR)
- 7 % des pathologies générant
lutilisation dantalgiques (IASP 99)
- 15 % des consultations de rhumatologique et 10 % des consultations de la douleur
- 2 % de la population générale
- Essentiellement féminine : 80 % de femmes
- Survenant entre 30 et 50 ans (Atteinte du sujet âgé exceptionnelle)
- Composante familiale ?
- Rebelle aux traitements habituels, notamment antalgiques et anti-inflammatoires :
Quête médicale: nomadisme, examens complémentaires multiples, voire
techniques lourdes
Dépendance médicamenteuse
- Conséquences psycho-sociales souvent importantes ++
Mais grande hétérogénéité des formes cliniques +++ : fourre-tout
nosologique ?
I - Douleurs Musculo-Squelettiques :
- Bilatérales, atteignent préférentiellement les régions cervico-scapulaires et
lombo-fessières
- Cotées
Intenses : EVA supérieure à 7/10 ( supérieure à Polyarthrite
Rhumatoïde)
- A type de nouures, de
contractures musculaires (hypertonie des différents groupes musculaires)
- Points douloureux
aux insertions musculo-tendineuses (sensibilité pour pression inf. à 4 kg)
- Douleurs variables
souvent permanentes, aggravées par leffort, la fatigue, le stress,
lhumidité, le froid, les changements de temps, les positions longtemps maintenues
- Facteurs
damélioration variables: repos, chaleur
- Extrémités des
mains et des pieds habituellement respectées (diff. Polyarthrite)
Un gonflement articulaire ou une raideur matinale peuvent à tort faire évoquer un
rhumatisme inflammatoire.
II - Autres symptômes fonctionnels, fréquents :
- Fatigabilité à leffort +++
- Céphalées de tension,
rarement migraines
- Colopathie fonctionnelle
- Troubles génito-urinaires et de la sexualité (baisse de la libido, douleurs de la
sphère génitale)
III - Retentissement Fonctionnel et Altérations de la Qualité de vies majeurs
- Limpotence fonctionnelle contraste
avec un examen clinique rassurant.
- La qualité de vie des fibromyalgiques (FIQ
= Fybromyalgia Impact Questionnaire) est souvent très altérée, inférieure à celle de
patients atteints de BPCO, de diabète insulino-dépendant, et colostomies.
- Le retentissement social, familial,
professionnel est souvent important voire majeur, avec arrêts de travail prolongés,
voire demande invalidité.
IV - Fatigue et Troubles du Sommeil constants
- Fatigue permanente, sommeil non réparateur
B. EXAMEN CLINIQUE PEU SPECIFIQUE
Les critères actuels ne sont que
positifs, permettant de poser le diagnostic de fibromyalgie sans préjuger du
caractère primitif ou secondaire.
Distinction possible avec les simulateurs dans 70% cas ( Khostanteen 2000)
I- Diagnostic de Fibromyalgie : Critères ACR 1990
- Histoire de douleurs diffuses depuis au moins trois mois
- Onze points
douloureux sur dix huit à la pression, fixes chez un sujet donné
Pression digitale modérée, habituellement non douloureuse ( environ 4 kg/cm2
sur dix huit points)
10 cervico-scapulaires, 4 lombo-fessiers, 2 pattes doie, 2 épicondyles
- Ces points doivent être douloureux et pas
seulement sensibles à la pression
- Nécessité dévaluer trois points témoins habituellement
non douloureux :
Milieu du front, partie moyenne avant-bras, face antérieure cuisse.
II- Eliminer une Fibromyalgie Secondaire
Importante à considérer dans la prise en
charge thérapeutique :
- Maladie inflammatoire ++ : Polyarthrite Rhumatoïde, syndrome de Gougerot
- Arthrose diffuse ++
- Endocrinopathies notamment hypothyroïdie,
- Hystérectomie ?
- Néoplasie +
Un
bilan clinique, radiologique (voire scintigraphique)
et
biologique minimal : VS CRP, CPK, calcémie-EPP; Latex Waaler-Rose et
Anticorps antinucléaire, T4, TSH,
vérifie labsence de syndrome inflammatoire, danomalies métaboliques
ou enzymatiques musculaires.
Physiopathologie de la Fibromyalgie
I - Dysfonctionnement des Systèmes de Contrôle de la Douleur
De nombreuses études ont montré que les seuils de douleur sont diminués dans la fibromyalgie.
· Atteintes périphériques : concernent muscles, tendons, ligaments, peau (Yunius 1981 ; Wolfe 1990)
· Substance P : serait augmentée dans le LCR des patients fibromyalgiques (Russel 1993)
· Systèmes de contrôle inhibiteurs « descendants » de la douleur paraissent aussi impliqués :
. taux
sériques de sérotonine : semblent diminués.
. anticorps dirigés contre les récepteurs de la
sérotonine : retrouvés chez 75% des fibromyalgiques (Klein 1992)
® Hypothèse : sensibilisation périphérique, amplifiée et généralisée par dysfonctionnement central (Kosek 1996).
®
Système sérotonergique particulièrement impliqué : régulation de lhumeur, contrôle des messages douloureux, qualité du sommeil.II - Anomalies de la Régulation du Sommeil ++
1. Les fibromyalgiques se plaignent constamment de troubles du sommeil
:
Asthénie, sommeil non réparateur, amélioration des symptômes en fin de journée :
Intrication douleurs-troubles du sommeil
douleurs Þ sommeil difficile Þ douleur
2. Même lorsque le patient ne se plaint
pas de son sommeil, celui-ci est profondément perturbé ++ :
- EEG : sommeil
instable (nombreux changements de stades) et fragmenté par nombreux
éveils.
- Altérations quantitatives et qualitatives du sommeil
lent profond (stades 3 et 4)
Rôle capital dans processus de récupération physique et psychique :
® Déficit
sommeil lent profond Þ altération résistance au stress,
régulation émotionnelle et maîtrise des phénomènes douloureux.
® Privation stade 4 sommeil lent-profond
chez volontaires sains Þ syndrome
polymyalgique (Moldofsky 76).
III- Perturbations Musculaires
- Tension musculaire permanente, contractures, hypertonie musculaire avec douleurs à la
palpation et à leffort
- Diminution force
musculaire (Grip Test) et endurance à leffort (marche rapide) : 80% cas (Bennet 1989),
faisant suspecter anomalie micro-circulation musculaire avec possible atteinte hypoxique.
- Déficit musculaire
observé : paraît plus lié à une conséquence des douleurs induites par
leffort quà une réelle atteinte musculaire propre :
douleurs Þ contractures et déficit musculaire à leffort Þ douleurs
Facteurs Psychologiques dans la Fibromyalgie
Les facteurs psychiques jouent un rôle important, voire prépondérant, dans la fibromyalgie.
1. Anomalies biochimiques :
plusieurs anomalies biochimiques concernant les neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline) sont communes à la fibromyalgie et aux formes sévères de dépression (Reichlin 93)
2. La personnalité du fibromyalgique est souvent de type névrotique, avec rôle majeur du stress chronique.
On constate souvent (Winfield 2000):
- vulnérabilité
psychologique
- hyper-réactivité au stress marquée,
tendance à la catastrophisation , à la victimisation
- tendance à
lhyperactivité préalable
3. Rôle des événements déclenchants ++
·
événements
difficiles et/ou traumatisants dans lhistoire
· environnement socio-professionnel
difficile, avec éléments contentieux.
4. Troubles psychiatriques les plus fréquents :
Pas de différence nette de profil
psychologique entre fibromyalgie et syndrome douloureux chronique +++
- 1/3 seulement des
patients fibromyalgiques ont des désordres psychiatriques caractérisés lors du profil
psychologique par le test du MMPI (Minnesota Multiple Personality Inventory). (Ahles 1984)
- la douleur chronique
augmente les scores dhypochondrie, dhystérie, de dépression
- une dépression véritable est retrouvée chez 1/3
des patients (Ahles 1991)
- des phénomènes
anxieux sont souvent constatés, voire une véritable névrose dangoisse
Au total :
- troubles
psychiatriques caractérisés dans 1/3 des cas
- souvent anxiété
anticipatoire, hyper-réactivité au stress, dépression
masquée ou non
- Souvent, sensation de rejet par entourage familial, professionnel voire médical avec
sentiment dêtre incompris.
- Donner un nom aux symptômes allégués peut introduire une communication entre patient et soignants
- Evolution bénigne, par poussées - Pas
datteinte articulaire ou neurologique +++
Attention à la recherche de compensations financières, matérielles et sociale.
Surtout si forme sévère. Critères de
jugement non exclusivement centrés sur la douleur :
- Amélioration de la fonction
- Amélioration qualité de vie
- Amélioration (incomplète) de la douleur
- Diminution des médications dépendogènes
- Poursuite travail et/ou activités +++ /
¯ Contentieux
Prise en Charge Pluridisciplinaire dans la Fibromyalgie
I - Informations sur la maladie
(Associations, Internet...)
- Première association française : 1995. Multiples associations depuis.
- Réunions dinformations, publication de journaux et documents pédagogiques, sites
Internet ...
Actuellement deux associations de fibromyalgiques en Loire - Atlantique
II - Prise en charge physique et Ré-entraînement à leffort sont fondamentaux +++
- Limiter progressivement :
inactivité, cannes, voire fauteuil roulant
Combattre la notion largement répandue que le repos est nécessaire et bénéfique :
Þ Plus le muscle est entraîné, moins
il souffre à leffort
- Réactiver progressivement les patients, les ré-entraîner
à leffort par des programmes dactivité fractionnée
dintensité progressive en aérobie (Bennett 91, Meiworm 2000, Mannerkorpi 2000)
- Programme
dentraînement : exercices sous le contrôle dun ré-éducateur et/ou
kinésithérapeute
Association à exercices quotidiens à domicile (Carnet dauto
suivi )
Þ Objectifs dosés, réalistes et
progressifs, dans le cadre dun contrat
thérapeutique
III - La prise en charge psychologique paraît fondamentale, et adaptée au patient
1. Participation
active du patient ++
self management et coping : adhésion à stratégie soins
2. Contrôle des
facteurs de stress : Relaxation
- Action positive potentielle sur :
hyper-réactivité au stress, tension musculaire, troubles du sommeil...
- Plusieurs fois par jour, particulièrement
le soir (Training autogène de Schultz : méthode la plus utilisée)
3. Abords Psycho-Algologiques
- Thérapies Stratégique et
Cognitivo-comportementales
- Hypnose et Auto-Hypnose
- Psychothérapies
IV - Education et soutien de la Famille
V - Les thérapeutiques médicamenteuses ne sont quadjuvantes ++
® Dans la littérature, peu détudes contrôlées valables publiées
(White
: analytical review controlled clinical trials for fibromyalgia, Pain, 96)
-
Souvent, études à court terme avec peu de patients, variables très différentes (rarement handicap).
- Etudes en cours plus prolongées (au
minimum 6 mois) appréciant autant lefficacité que la tolérance des
traitements mais aussi leur coût.
Uniformiser critères defficacité de la prise en charge +++
1. Antalgiques, anti-inflammatoires et corticoïdes :
peu ou pas efficaces
Morphiniques : pas de place au long cours, car peu efficaces, mal tolérés et
dépendogènes
2. Benzodiazépines non
conseillées, car peu efficaces et risquant dinduire dépendance ou effets
indésirables (Russel 91). Effets amnésiants, troubles de léquilibre ne favorisant
pas la réinsertion
Les anxiolytiques non benzodiazépines peuvent être tentés : buspirone (Buspar) ou
hydroxyzine (Atarax)
Des b-bloquants
(propranolol- Avlocardyl) peuvent
être utilisés lors dune hyper-réactivité au
stress.
3.
Antidépresseurs +++
- Tricycliques : les plus utilisés (Laroxyl, 10 à 70 mg , prise vespérale unique)
. efficacité plus rapide et doses plus faibles que dans syndromes dépressifs
® action plus marquée sur troubles du sommeil que sur douleur ou handicap fonctionnel
. mais diminution de
lefficacité avec le temps ? (Goldenberg 99)
® études contrôlées valables ne montrent
pas defficacité significative à long terme ( Carette 99)
- Antidépresseurs sérotoninergiques : paroxétine (Déroxat), sertraline (Zoloft),
fluoxétine (Prozac) : Hors AMM
Intérêt de la miansérine (Athymil) dans ce
contexte de troubles du sommeil.
Associations dantidépresseurs : résultats intéressants en double aveugle (fluoxétine et amitriptyline, Goldenberg 96).
Méta-analyse sur lefficacité
des antidépresseurs : Omalley 2000 :
- amélioration générale, du sommeil de la
fatigue, du bien-être
- mais peu de la douleur et pas des
trigger points
4.Hypnotiques : à manier avec dextrêmes précautions, notamment
les benzodiazépines, responsables de troubles mnésiques, avec risques de dépendance et
daugmentation posologique aboutissant à une insomnie réelle par abus
dhypnotiques
même pour les produits plus récents (zolpidem-Stilnox, Zopiclone-Imovane)
® Préférer laction sédative
des antidépresseurs type Laroxyl ou Athymil ++, des anxiolytiques sédatifs non benzodiazépines (Atarax) ou
anti-histaminiques (alimémazine-Théralène)
5. Autres médicaments, en cours
dexpérimentation :
· Mélatonine
3mg
Papadopoulos 2000 : 21 patients en étude ouverte
· Antagonistes sérotoninergiques anti
5-HT3 : tropisetron
Haus 2000 : 30 patientes en étude ouverte
Dans tous les cas : pas de médicament miracle : à intégrer dans une stratégie de soins fonctionnelle et psychologique.
VI- Mesures professionnelles et sociales
1- Fibromyalgie et ALD : Haut Comité à la Sécurité Sociale, JO 26 Mars 2001
Après avis Groupe de Travail (médecins
et associations) :
La fibromyalgie ne peut être admise sur la liste des affections
comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse,
justifiant une prise en charge à 100 %.
Le patient atteint de fibromyalgie PEUT
toutefois bénéficier dune prise en charge à 100 % des soins et traitements liés
à cette affection, au titre des affections hors liste
- en cas de forme évolutive et invalidante
- sur avis du service de contrôle médical
2. Fibromyalgie et Invalidité
Pour travailleur salarié, une Invalidité
1ère ou 2é Catégorie PEUT être accordée
- en cas de forme invalidante et évolutive,
- sur avis du service de contrôle médical
Conclusion
Fibromyalgie : syndrome douloureux chronique associant douleurs diffuses, asthénie et fatigabilité depuis plus de 3 mois
- Conséquences fonctionnelles sociales
professionnelles : peuvent être majeure
- Abus médicaments et examens
complémentaires fréquent : éviter thérapeutiques agressives
- Prise en charge pluridisciplinaire avec information, réactivation physique
- Prise en charge psychologique ,
thérapeutiques médicamenteuses limitées.
But de la prise en charge centré sur
qualité de vie et non exclusivement sur la douleur:
® soulager les patients mais surtout les réinsérer
socialement et professionnellement
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totale ou partielle est interdite sans laccord de lauteur, le Docteur Julien
NIZARD.
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